«Ça semble plus inoffensif que ça ne l’est en réalité»

Le mélanome malin est une maladie sous-estimée – deux patients racontent

01 juillet 2021

Notre peau est l’organe le plus souvent touché par le cancer. Le cancer de la peau noire, médicalement connu sous le nom de mélanome, représente environ 10% de ces maladies. En Suisse, près de 2000 personnes sont atteintes chaque année de mélanomes. La maladie est souvent suivie de mois d’incertitude et d’anxiété, et environ une personne sur cinq en meurt. Deux patients racontent comment ils ont trouvé du soutien au sein de leur famille ou dans des groupes d’entraide – et soulignent l’importance d’examens réguliers chez le dermatologue. 

Natascha et Neven, vous avez été atteints d’un cancer de la peau il y a quelques années. Comment le diagnostic a-t-il été posé à l’époque?

Natascha: J’ai toujours eu beaucoup de grains de beauté et je savais que j’étais une patiente à haut risque. Tous les deux à trois ans, je suis donc allée chez le dermatologue pour le contrôle et tout était normal. En 2014, j’avais alors un grain de beauté rouge sur le haut du bras, qui saignait de façon récurrente. Pour ne pas salir mes vêtements, je le recouvrais de pansements.

Dans un journal, j’ai vu à peu près au même moment une campagne sur le cancer de la peau, qui comprenait une image d’un cancer rouge de la peau. J’ai alors pris immédiatement rendez-vous chez le dermatologue. Lors de l’examen, le grain de beauté s’est malheureusement révélé être un mélanome malin (cancer noir de la peau).

 

Natascha avait été sensibilisée aux risques du mélanome malin en lisant une revue.
Un grain de beauté anormal a interpellé Natascha, qui avait été sensibilisée aux risques du mélanome malin en lisant une revue.

Neven: Depuis mon adolescence, j’ai régulièrement consulté un dermatologue pour faire contrôler de nombreux grains de beauté. En mars 2017, un contrôle de plus s’est déroulé sans constat anormal. Toutefois, trois mois plus tard, j’ai constaté une nouvelle excroissance au niveau du genou droit, qui s’est révélée être un cancer de la peau. Mon dermatologue m’a même félicité de n’avoir pas hésité à me manifester. Il pensait que cet endroit serait probablement sans danger. L’excroissance a été retirée et j’ai été informé après l’examen histologique que c’était malheureusement un mélanome malin. À l’époque, j’avais 43 ans.

Quelle a été votre première réaction? Qu’est-ce qui a déclenché le diagnostic chez vous?

Natascha: Beaucoup d’incertitude parce que je ne savais pas ce qui allait désormais se passer ni ce qui m’attendait. Pour le diagnostic initial, le grain de beauté suspect a été enlevé, puis une deuxième opération a été réalisée et d’autres tissus sains ont été retirés autour pour s’assurer qu’il ne restait aucun vestige de tissu malin. Il y a même eu une troisième opération pour enlever le ganglion lymphatique adjacent afin de voir si le cancer s’était propagé. Pendant tout ce temps, on ne m’a jamais vraiment expliqué ce que ce diagnostic signifiait pour moi et à quel point le mélanome malin était dangereux. Comme beaucoup, je suis alors allée sur Internet pour me renseigner sur cette forme de cancer de la peau. Entre deux rendez-vous à la clinique, on a toujours le temps de ruminer car on attend toujours le prochain rendez-vous ou le prochain rapport de laboratoire. Cette attente m’a causé beaucoup d’anxiété et d’incertitude, car j’ai aussi trois enfants et je me demandais ce qui se passerait si je venais à mourir. À l’époque, je ne savais pas non plus à quel point les thérapies étaient avancées. Si j’avais su à l’époque ce que je sais aujourd’hui, ma peur n’aurait certainement pas été si grande.

Neven: Les premiers sentiments qui se sont installés sont la tristesse, le désespoir et la peur. Je pensais que c’en était fini. Une de mes connaissances est décédée des séquelles d’un cancer de la peau à peu près au même moment. Il a connu une évolution similaire à celle de mon traitement et a été considéré comme guéri après sept ans sans autres métastases. La septième année après le diagnostic initial, il a soudainement souffert de vertiges, déclenchés par des métastases du cancer de la peau dans le cerveau. Les métastases cérébrales ne sont toujours pas traitables. Cela a déclenché énormément de choses chez moi.

Cependant, après le choc initial, je n’ai pas voulu me résigner à mon sort à ce moment-là. Je suis immédiatement passé en mode survie et ai voulu en savoir plus sur le cancer et sur les possibilités de le combattre.

 

Neven a surmonté le premier choc après le diagnostic du cancer de la peau et voulait apprendre ce qu’il peut faire pour sa santé.
«Cela a déclenché énormément de choses chez moi.» Neven a surmonté le premier choc après le diagnostic du cancer de la peau et voulait apprendre ce qu’il peut faire pour sa santé.

Dans quelle mesure avez-vous parlé ouvertement et comment votre entourage a-t-il réagi?

Natascha: Mon mari a très bien réagi et m’a encouragée en me disant que tout allait bien se passer puisque nous avons un système de soins de santé formidable. Le plus difficile pour moi était de l’expliquer à mes enfants sans leur faire trop peur. Je ne voulais pas le dire à beaucoup de gens à l’époque, car je ne savais pas moi-même comment gérer la maladie. Et les rares personnes à qui je l’ai confié ne savaient pas non plus comment réagir à une pareille nouvelle. On m’a souvent dit que je pouvais mourir, ou qu’on ne savait pas comment me traiter – après tout, le cancer de la peau n’est pas quelque chose de visible sur les patients touchés. Ce n’est pas comparable avec les patients qui reçoivent une chimiothérapie et souffrent d’une perte de cheveux. Mon attitude à ce sujet a fortement changé car je peux en parler beaucoup plus ouvertement aujourd’hui.

Entre 2014 et 2016, j’ai eu trois mélanomes en tout, qui ont pu être retirés. Durant cette période, j’ai eu l’impression de ne plus avoir que des mélanomes partout et je savais que devais faire quelque chose pour moi. J’ai rejoint le groupe d’entraide sur le mélanome, où j’ai eu l’occasion d’échanger des idées avec d’autres personnes atteintes. Dans ce groupe, j’ai trouvé beaucoup d’appui et de soutien. Depuis le début de la pandémie, je ne vais plus aux réunions, mais je sais que je peux revenir à tout moment.

 

Des traces d’une intervention potentiellement mortelle: Natascha revendique ses cicatrices.)
Des traces d’une intervention potentiellement mortelle: Natascha revendique ses cicatrices.)

Neven: Je l’ai raconté à ma famille et à mes amis, sauf à ma mère. Elle était alors elle-même atteinte d’un cancer pour la deuxième fois et je ne voulais pas lui faire encore plus peur. Mon mari a été un soutien majeur pour moi, car il m’a toujours accompagnée à tous les rendez-vous importants. Le soir après l’annonce du diagnostic, il m’a dit: «Je te guérirai avec mon amour.» Mon diagnostic a fait prendre conscience à certains membres de mon entourage que le cancer ne touche pas seulement les personnes à la retraite.

Comment avez-vous ressenti votre traitement? Vous sentiez-vous entre de bonnes mains?

Natascha: Comme je l’ai déjà mentionné, les mélanomes m’ont été retirés. Après cela, je suis allée chez ma dermatologue tous les trois mois pour faire contrôler ma peau. Cela a nécessité l’ablation de grains de beauté à certains endroits qui se sont révélés ne pas être cancéreux ou seulement précancéreux. À cause de toutes les ablations de mélanome et de grains de beauté, j’ai aussi quelques cicatrices qui ne me font pas directement mal, mais je ressens de temps en temps des tiraillements. En outre, un dosage de la protéine S100 dans le sang, qui sert de marqueur pour les tumeurs, a été effectué tous les six mois, et un examen échographique des ganglions lymphatiques a été réalisé tous les ans pour exclure les métastases. Comme je n’ai plus de tumeur depuis cinq ans, je vais maintenant tous les six mois chez ma dermatologue, qui est aussi ma personne de confiance, pour des examens de la peau. La joie de voir les intervalles allongés entre les examens est contenue, car je me demande sans cesse: «Qu’arrivera-t-il si le cancer revient?»

J’ai toujours eu l’impression d’être bien entourée avec mes médecins. La seule chose que j’aurais aimé qu’on me dise lors du premier diagnostic, c’est à quel point ce type de cancer est dangereux et ce qui peut arriver si des métastases se forment. Ils n’ont probablement pas voulu m’imposer un fardeau trop lourd, mais il aurait été préférable pour moi de tout savoir dès le début sans avoir à chercher des informations sur lnternet. 

Neven: Après le diagnostic, une autre ablation à grande échelle a été effectuée sur la partie du corps affectée et les ganglions lymphatiques responsables de cette région du corps ont été examinés afin de détecter d’éventuelles métastases. Il s’est avéré que certaines de ces métastases s’étaient formées. Après l’analyse génétique de ma tumeur, il s’est avéré qu’elle n’avait pas subi de mutation utile permettant un traitement ciblé par des médicaments existants. Cela signifiait qu’hormis une étroite surveillance, il ne restait pas grand-chose à faire. C’est pourquoi je vais au contrôle tous les trois mois: Différents marqueurs tumoraux sont mesurés dans le sang, les ganglions lymphatiques sont examinés et des imageries sont réalisées régulièrement (tous les deux ans, TEP-TDM, une IRM tous les deux ans) afin de détecter au plus vite la formation d’autres tumeurs. Depuis le premier diagnostic, huit grains de beauté suspects, qui étaient bénins ou déjà précancéreux, m’ont été retirés, mais plus de mélanome.

Étant donné que je ne pourrai pas recevoir de thérapie supplémentaire au sens propre du terme, mais qu’il ne reste «que» les contrôles rapprochés (la stratégie de mon oncologue est «wait and see»), j’ai changé entre-temps de centre de soins et suis passé d’une grande clinique universitaire à une clinique privée. Mais même au bout de presque quatre ans sans nouvelles métastases, la peur est toujours présente: Si de nouvelles métastases se formaient, la probabilité de mourir serait d’environ 50% pour moi.

 

Le soutien des professionnels de la santé a donné à Natascha la stabilité dont elle avait besoin
«Je me suis toujours sentie entre de bonnes mains avec mes médecins.» Le soutien des professionnels de la santé a donné à Natascha la stabilité dont elle avait besoin – la seule chose qu’elle critique est la lenteur du processus d’information

Avez-vous besoin de plus d’informations sur le cancer de la peau, même en ce qui concerne les skin checks réguliers? Vous êtes-vous sentis suffisamment informés sur la maladie et les options thérapeutiques disponibles? 

Natascha: À l’époque, je n’avais pas conscience de la nature dangereuse du mélanome malin. Par hasard, j’ai lu à l’époque l’annonce de la campagne contre le cancer de la peau dans un journal et j’ai consulté le médecin. On pourrait faire beaucoup plus dans ce domaine quand on voit le nombre de personnes qui s’exposent au soleil sans se soucier de rien. J’ai l’impression que, par exemple, en ce qui concerne le cancer du sein ou du col de l’utérus, on en fait beaucoup plus et ces types de cancer sont plus présents, du moins dans la population féminine, car on va chez le gynécologue chaque année pour un contrôle et cela en fait partie. Par contre, tout le monde ne fait pas examiner sa peau régulièrement, à moins d’appartenir à un groupe à risque ou d’avoir la peau claire. C’est pourquoi j’ai accepté de faire part de mes expériences. Il est important pour moi d’attirer l’attention là-dessus.

Neven: C’est absolument nécessaire. Au travail, après le diagnostic, on m’a souvent demandé ce que j’avais exactement. Beaucoup pensaient que le cancer de la peau était quelque chose qui pouvait être facilement éliminé et que, contrairement à d’autres cancers, il ne formait pas de métastases, voire n’entraînait pas la mort. Cependant, il paraît plus inoffensif qu’il ne l’est. Chaque année, plus de 300 personnes meurent de mélanomes en Suisse (source: liguecancer.ch). Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas, c’est que ce n’est pas le grain de beauté dégénéré qui tue, mais ses métastases très dangereuses dans le cerveau, le foie ou les poumons. 

Je partage mon histoire parce que je pense que le mélanome malin est peu connu et qu’il est important de se protéger et de faire de la prévention. 

 

Neven partage ouvertement son expérience de la maladie pour inciter davantage de personnes à faire examiner régulièrement leur peau.
Neven partage ouvertement son expérience de la maladie pour inciter davantage de personnes à faire examiner régulièrement leur peau. C’est très simple, par soi-même, ou directement chez le dermatologue.

Comment allez-vous aujourd’hui? Qu’est-ce qui a changé pour vous?

Natascha: Je me sens très bien et suis contente. Il est vrai qu’après un tel diagnostic, on vit de manière beaucoup plus consciente et qu’on ne se sent plus irrité par le mauvais temps continu, par exemple. Au début, je me suis demandée ce que j’avais déjà accompli et ce que je voulais encore faire si je devais mourir précocement. Je me suis ensuite jetée dans de nombreux projets.

Neven: Je vais très bien maintenant. Il y a même parfois des jours où je ne pense pas au cancer. Avant, j’avais chaque fois une petite dépression nerveuse avant la TEP-TDM annuelle. Depuis, cela s’est calmé et je vais beaucoup plus détendu aux rendez-vous. Néanmoins, le cancer est toujours présent dans mon esprit; par exemple, je suis inscrit auprès d’EXIT (une organisation qui aide au suicide assisté, rem. de l’intervieweuse) pour le cas où mon état s’aggraverait. Je vais aussi occasionellement aux réunions du groupe d’entraide sur le mélanome. Les rencontres sont souvent très émotionnelles, car on y rencontre aussi des personnes affectées qui vont très mal. Le groupe me soutient, nous échangeons souvent des informations sur les traitements et les examens et nous nous aidons ainsi mutuellement. 

Avez-vous un message pour d’autres personnes concernées ou la population générale?

Natascha: Il convient de se protéger du soleil aussi efficacement que possible et de se soumettre à des examens réguliers. On peut également aller chez le médecin généraliste ou le dermatologue pour un contrôle.

Je dis à toutes les personnes concernées: l’essentiel est de rester positif. Même si l’on ne sait plus que faire, il y a toujours une solution. Il peut également être utile de chercher à entrer en contact avec un groupe d’entraide, car on peut s’encourager et se motiver mutuellement au sein du groupe. Cela m’a aussi aidé de faire confiance à la médecine, car nous disposons d’un système de santé très efficace en Suisse.

Neven: Il faut bien observer sa peau et son corps. En cas d’altération, il est préférable d’aller directement chez le dermatologue. Dans la plupart des cas, on a de bonnes perspectives lorsque l’on reconnaît tôt les altérations cutanées. La prévention est très importante, même si le traitement du cancer de la peau s’est considérablement amélioré. Il y a encore trop de personnes qui meurent d’un mélanome malin.

 


 

Prévention, groupes de patients, autocontrôle

Vous trouverez ici d’autres informations sur le cancer de la peau:

Se protéger correctement contre le soleil – Ligue suisse contre le cancer

Entraide pour le mélanome